La course automobile est parfois impitoyable. Toyota en a fait les frais dimanche dernier. Alors que la voiture n°5 était en tête, à 3 minutes du terme de la course, une perte de puissance anéantissait tout espoir de victoire du constructeur japonais et conduisait Porsche vers sa 18e victoire au Mans.
La pluie qui s’invite peu avant 15 heures, un départ donné sous régime de safety car, un abandon de la voiture de tête à trois minutes du terme de la course : jamais les 24 Heures du Mans n’avaient proposé un scénario aussi improbable et un dénouement aussi dramatique. Lors de plusieurs éditions, le suspens a perduré jusque dans les dernières minutes de course. En 1969, la Ford GT40 de Ickx et Oliver l’emporta avec 150 mètres d’avance sur la Porsche 908 de Hermann et Larousse.
En 1992, la Porsche 962C du Repsol Brun Motorsport abandonna à 15 minutes du terme de l’épreuve mais celle-ci occupait seulement la 2e place, derrière la Jaguar XJR 12 de Nielsen, Cobb et Brundle. Jusqu’ici, aucun leader n’avait jamais flanché dans les derniers instants de la plus célèbre course d’endurance au monde.
Catégorie LMP1
24 Heures du Mans 2016 : une cruelle désillusion pour Toyota
Plus de trente ans après sa première participation, Toyota court toujours après sa première victoire au Mans. Cinq fois deuxième de l’épreuve, en 1992, 1994, 1999, 2013 et donc 2016, le constructeur nippon était déjà passé tout près du succès à deux reprises. En 1994, suite à une avarie technique, la 94-CV du team SARD perdait le commandement deux heures avant le baisser du drapeau à damier, terminant finalement deuxième.
En 1999, à une heure de la fin de la course, une crevaison sur la GT-One de tête ruinait les espoirs de victoire du constructeur japonais. En 2013, comme en 1994 et 1999, la Toyota de pointe terminait une fois encore deuxième, à un tour du leader. Il y a deux ans, Kazuki Nakajima (déjà lui) abandonnait au petit matin, à Arnage, alors qu’il occupait la tête de la course, au volant d’une TS040 archi favorite et bien plus rapide que ses concurrentes directes.
Pour Toyota Gazoo Racing, cette défaite est d’autant plus amère que la n°6 a longtemps été aux avants-postes, avant de connaître une sortie de piste et un passage dans le bac à gravier. Ces divers incidents ont finalement permis à la Porsche 919 Hybrid n°2 de Jani, Dumas et Lieb de sortir vainqueur de son duel avec les Toyota n°5 et 6.
Un dix-huitième titre pour Porsche au Mans
Au passage, Porsche signe sa 18e victoire au Mans alors que le Français Romain Dumas décroche son deuxième trophée dans la Sarthe, après celui obtenu en 2010 avec l’équipe du Docteur Ullrich. La Porsche n°1 ainsi que les Audi n°7 et n°8 n’ont jamais été véritablement en mesure de se battre pour la victoire. La n°1 de Bernhard, Weber et Hartley a perdu beaucoup de temps à son stand en début de course, du fait d’un changement de pompe à eau, avant de s’arrêter longuement à deux reprises pendant la nuit. Elle termine seulement à la 13e place.
L’Audi n°8 de Di Grassi, Duval et Jarvis a été immobilisée 39 minutes à son stand, pour un changement de disques de freins. Elle doit sa troisième place à l’abandon de la Toyota de tête. La n°7 de Fässler, Lotterer et Tréluyer, qui a connu des problèmes de turbo en début d’épreuve termine quatrième. On a longtemps cru qu’Audi serait absent du podium, ce qui aurait aurait été une première depuis le premier engagement de la marque allemande au Mans, qui remonte à 1999. Mais rien n’est jamais joué avant le baisser du drapeau à damier, comme l’a démontré le final de cette 84e édition des 24 Heures du Mans.
L’autre déception concerne le Rebellion Racing dont la première auto, la n°12 de Prost, Heidfeld et Piquet JR termine seulement 29e, après avoir passé plus de 45 minutes à son stand pour un changement d’embrayage. Les prototypes helvétiques avaient montré de belles possibilités lors des deux premières courses de la saison, la n°13 terminant à chaque fois sur le podium, à Silverstone et à Spa-Francorchamps. Preuve que Le Mans est bel et bien une course à part !
Catégorie LMP2
Une Alpine victorieuse 38 ans après le triomphe de l’A442B
Dans la catégorie LMP2, les châssis Oreca ont damné le pion à leurs adversaires, tant en course que lors des essais. Sur la grille de départ des 24 Heures du Mans 2016, on trouvait quatre châssis Oreca 05 dans le top 5. Et à l’arrivée, trois châssis du constructeur français figuraient dans ce même top 5, avec une première place à la clé pour l’équipe Signatech-Alpine. Avec cette deuxième victoire de rang aux 24 Heures du Mans – après la victoire de l’équipe chinoise KCMG en 2015 -, Oreca est désormais le constructeur à battre dans la catégorie des prototypes LMP2.
Trente-huit ans après le sacre de l’A442B, l’équipe Signatech a fait monter la marque Alpine sur la plus haute marche du podium, dans sa catégorie, alors que la n°36 figurait clairement parmi les favorites avant le départ. Tout comme Oreca, Nicolas Lapierre empoche au passage un deuxième succès de rang dans la Sarthe. Une sacrée performance pour l’ancien pensionnaire du Toyota Gazoo Racing, qui réalise une brillante carrière en LMP2.
L’Oreca G-Drive et la BR01 du SMP Racing sur le podium
Au deuxième rang, dans le même tour que le leader, on retrouve la voiture de la pôle position, à savoir l’Oreca – Nissan n°26 de l’équipage Rusinov, Stevens et Rast, engagée par le G-Drive Racing, le team champion du monde en titre avec une Ligier JSP2.
La troisième place de la catégorie est à mettre au crédit de la BR01 – Nissan n°27 du SMP Racing. Il s’agit d’une très belle performance pour cette équipe que l’on n’attendait pas forçément à pareil fait. Force est de constater que pour sa troisième participation aux 24 Heures du Mans dans la catégorie LMP2, le team russe aura su tirer parti de son expérience de la course.
La quatrième place de la catégorie est trustée par un autre team habitué du LMP2, le Strakka Racing, dont la Gibson 015S – Nissan était, comme à l’accoutumée, confiée à l’équipage Leventis, Watts et Kane. Le top 5 de la catégorie est complété par l’Oreca 05 – Nissan d’Eurasia Motorsport.
Les Ligier JS P2 en retrait
La première Ligier JS P2, celle du Greaves Motorsport, motorisée par Nissan, termine 10e au classement général alors que les autos du team Panis Barthez Compétition et Michael Shank Racing se classent respectivement 12e et 14e.
Après le titre acquis en WEC l’an passé par le team G-Drive, les performances du team RGR Sport by Morand en championnat du monde ou encore les victoires remportées par le team Exteme Speed Motorsports aux 24 Heures de Daytona et aux 12 Heures de Sebring, on s’attendait à une lutte un peu plus féroce entre les neuf Ligier JS P2 et les cinq Oreca 05 engagées aux 24 Heures du Mans 2016 mais il n’y eut pas de match à proprement parlé.
Catégorie LMGTE-Pro
La grosse performance de Ford
Autre signe de l’homogénéité du plateau de ces 84e 24 Heures du Mans, en catégorie LMGTE-Pro, tout comme dans la catégorie des prototypes LMP2, les deux premières autos ont terminé dans le même tour. Pendant 24 heures, Ford et Ferrari ont bataillé ferme, redonnant vie au fameux duel auquel les deux constructeurs s’étaient livrés au Mans, dans les années 60.
Le géant de Détroit réalise une véritable performance pour son retour en terres mancelles, en remportant la catégorie et en plaçant trois autos parmi les quatre voitures de tête ! En définitive, une seule Ferrari 488 GTE aura été en mesure de lutter avec les Ford. La n°82 du Risi Competizione de Fisichella, Villander et Malucelli s’intercalle entre la Ford n°68 de Hand, Müller, Bourdais et la n°69 de Briscoe, Westbrook et Dixon.
Aston Martin, Porsche et Corvette en retrait
Aston Martin Racing place ses Vantage n°95 et n°97 aux 5e et 6e rangs de la catégorie alors que le Corvette Racing doit se contenter d’une inhabituelle et surprenante 7e place. La BOP modifiée par l’ACO la veille de la course, suite à la réclamation du Corvette Racing n’y fit rien. Le constructeur américain, pourtant vainqueur de l’édition 2015, des dernières 24 Heures de Daytona et des 12 Heures de Sebring, a été complètement dominé par la concurrence, tout au long de la course. Comme si ce manque de performance ne suffisait pas, la Corvette n°69 allait subir un choc frontal dans le mur de pneus à la chicane Dunlop, peu avant 7 heures du matin.
A l’issue de la course, on imagine que les hommes de Porsche Motorsport étaient guère plus satisfaits que leurs adversaires de chez Corvette, les deux Porsche 911 RSR officielles ayant abandonné après 140 tours de course alors que celle du Dempsey – Proton Racing termine 31e au classement général, derrière les leaders du LMGTE-Am.
Catégorie LMGTE-Am
Un joli doublé pour Ferrari
Ferrari et Porsche ont été au premier plan dans la catégorie LMGTE-Am puisque la firme de Maranello occupe les deux premières places du classement, avec les 458 Italia de la Scuderia Corsa, deuxième en 2015, et d’AF Corse, les deux autos terminant dans le même tour, alors que le Proton Racing permet à Porsche de monter sur le podium de ces 24 Heures du Mans 2016.
56e stand : le défi d’un homme
Frédéric Sausset réalise son rêve
Frédéric Sausset était déjà le premier pilote quadri-amputé de l’histoire du sport automobile. Il est désormais le premier à avoir participé aux 24 heures du Mans et à avoir vu le drapeau à damier. Frédéric Sausset a piloté la voiture à l’aide d’un seul manchon en carbone, arrimé au volant. L’équipage de la Morgan LMP2 – Audi, composé de Tinseau, Bouvet et donc Sausset visait certainement mieux qu’une 38e place au classement général mais l’essentiel n’est pas là. Frédéric Sausset a réussi son pari, en montrant qu’il est possible de se réaliser, malgré le handicap.
Crédits photos : autoetstyles.fr – Jean-Charles Desmots